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Ecriture, discipline non enseignée à l’école mauritanienne ou blocage au niveau des méthodes traditionnelles?

10 mars 2014

 L’échec évident constaté de la bipolarisation de l’école mauritanienne a conduit à une énième réforme qui suit son cours depuis 1999 et qui tend à unifier les deux écoles (communément appelées deux filières).

Parer à cette erreur historique qui a sacrifié plusieurs générations en les mettant dos à dos (barrières linguistiques obligent), doit être couplé à une prise en compte  des insuffisances de tous ordres que l’on peut observer et qui ne sont pas étrangères d’une part au statut, à l’inadéquation des méthodologies du français langue maternelle (FLM) et du français langue étrangère (FLE) en vigueur dans le système éducatif mauritanien et d’autre part aux conditions difficiles dans lesquelles se déroule l’enseignement du français dans ce pays. 

 

Il ne s’agit donc pas de mettre en cause les fondements théoriques ni même les démarches pédagogiques de méthodes modernes qui prônent l’acquisition de compétences de communication par les actes de langage. Le problème, qui n’est pas spécifique à la Mauritanie mais concerne tous les pays sous-développés, vient de ce que les moyens didactiques auxquels il est fait référence dans le cadre de ces approches ne sont pas disponibles sur le terrain. En outre, l’arrière-plan des réflexions pédagogiques est celui d’un groupe moins nombreux que ce qui constitue la réalité sous nos latitudes. Analysant le cas du Sénégal, Moussa Daff s’alarme : « le cafouillage didactique est évident et le sentiment d’échec généralisé compréhensible ». Ce constat d’échec, qui vaut pour la situation socio-éducative aussi bien au Sénégal qu’en Mauritanie, est certes imputable aux méthodes d’enseignement et d’apprentissage que nous venons d’évoquer (FLM et FLE) mais aussi dans leur rapport au contexte d’application (insuffisance de la formation des enseignants, effectifs pléthoriques, matériels didactiques difficiles à utiliser, corps de contrôle non entièrement recyclé…).

 Le point sur lequel j’interviens, ici, est la finalité de l’enseignement du Français à l’école mauritanienne, qui oscille en permanence entre d’une part les méthodes FLM et d’autre part FLE, et l’exigence d’une didactique spécifique du français langue seconde (FLS) qui tiendrait compte, à la fois, des réalités locales et de l’ouverture au monde extérieur. Les faibles performances enregistrées en Mauritanie depuis le changement du statut du français, devenu « langue seconde » et l’absence de méthode appropriée à ce nouveau concept sont, selon nous, à chercher dans la mauvaise articulation entre les activités langage/lecture et lecture/écriture.

La production textuelle relève d’une activité que l’on acquiert difficilement, par un enseignement décloisonné des sous systèmes de la langue.

 Les enseignants et élèves mauritaniens sont pris dans une contradiction générée par le fait que la volonté politique d’autonomisation par rapport à l’ancienne puissance coloniale ne s’est pas donné ses moyens dans le système éducatif.  D’un côté, il ne s’agit plus (à juste titre) de faire comme si le français était la langue maternelle des locuteurs et la culture française celle de la Mauritanie. Mais d’un autre côté, ce pays n’a pas procédé à la réflexion théorique et méthodologique nécessaire à la définition de l’identité propre qu’il souhaite conquérir : la volonté de faire du français une langue étrangère l’a emporté sur celle de faire l’analyse précise de la situation réelle – qui est que le français devrait être considéré plutôt comme une langue seconde et que l’arabe n’est pas la langue maternelle de l’ensemble de la population. Et, en particulier pour ce qui concerne les épreuves du baccalauréat, l’on a gardé les exercices caractéristiques  du système français, sans se demander s’ils étaient dans la continuité logique et cohérente de la formation reçue au cours de la scolarité antérieure. 

Cela pourrait justifier, au-delà des considérations idéologiques, les nombreux tâtonnements  des responsables de la politique linguistique en Mauritanie quant au statut du français et à l’élaboration des programmes, des méthodes et/ou méthodologies lesquelles doivent se démarquer de la simple transposition didactique du français langue maternelle (FLM) destiné au public franco-français. Le point commun entre les deux publics est que l’école est le lieu où l’on apprend à écrire : « c’est même la raison d’être de celle-ci, à côté de l’apprentissage de la lecture et du calcul ». Passé cette étape des premiers apprentissages, la possession de l’écriture permet à l’élève l’acquisition et la transmission du savoir et des connaissances.

  L’objectif de treize années de scolarité (primaire et secondaire), durant lesquelles l’écriture est omniprésente, devrait permettre aux élèves de terminale de Mauritanie d’être en possession d’un langage scriptural, en termes de compétence et d’aptitude à l’égard de l’écrit, et d’affronter les situations les plus variées. De fait, objet d’enseignement, outil d’enseignement et d’apprentissage, objet et sujet de savoir, moyen de contrôle du niveau de maîtrise des connaissances et savoirs, l’écriture est omniprésente dans l’école. Elle constitue clairement un enjeu majeur au niveau scolaire : la possession des compétences linguistiques et rédactionnelles est  aussi importante pour la réussite des premiers apprentissages et la poursuite de la scolarité que pour son rôle dans la réussite des examens et, par là, dans la sélection scolaire.

  Cependant cette ambition juste et généreuse se heurte à la pauvreté des moyens et à la précarité de la formation des enseignants. Arrivent donc généralement dans l’enseignement secondaire des élèves qui n’ont pas le niveau fixé à l’issue de l’école primaire, ce qui bride le déploiement d’activités qui feraient appel à une connaissance maîtrisée du français, à quoi s’ajoute le peu de ressources aussi bien matérielles que culturelles des enseignants. Ainsi les cours sont-ils généralement dictés, les élèves les prenant en note sans être en situation d’intervenir activement dans le processus de transmission et d’appropriation des connaissances. Au Lycée et même au-delà, à l’Université par exemple, l’écriture sert donc à l’enregistrement des connaissances transmises et à la restitution de ces connaissances lors des divers contrôles et examens. 

  De surcroît, indépendamment de la situation particulière à la Mauritanie, la didactique de l’écriture, discipline à visée praxéologique, a accusé un retard au regard de l’avancée des didactiques disciplinaires (la lecture par exemple). En effet, comme le remarquait Yves Reuter en 1996, on en est à la préhistoire de la didactique de l’écriture puisqu’en fait l’écriture, malgré sa collusion avec l’école, n’a jamais été enseignée en tant que discipline autonome. Certes, nous n’en sommes pas pour autant au point zéro, pour reprendre la protestation de Barré-De Miniac. La prise en compte des dimensions psycho-affectives qui participent au développement de la compétence scripturale, le développement des modèles d’écriture se référant à la situation sociale correspondante, la formalisation des relations lecture-écriture ont permis de dépasser l’enseignement traditionnel de l’écriture.

  Nous essayerons d’expliciter quelques principes fondamentaux qui ont constitué la pédagogie de l’écrit, surtout en FLM, et de montrer comment une didactique récente s’est construite en se démarquant de cette pédagogie, car il est évident que les propositions de pratiques nouvelles se font à partir d’un constat de dysfonctionnement dans des pratiques antérieures sans que celles-là rejettent entièrement celles-ci.

  Située à la fin du primaire et appuyée au collège, la rédaction, exercice proposé aux élèves, permet à la fois de développer et d’évaluer leurs compétences scripturales. Elle est la transition entre l’expression écrite qui prend la forme d’une quasi-répétition dans les débuts de la scolarité et la présentation argumentée dans les formes les plus élaborées que sont la dissertation, le commentaire composé ou le résumé de texte suivi de discussion à la fin du cycle secondaire.

  Comment parvenir à bien écrire ? Suffit-il d’avoir des idées pour produire un texte cohérent et cohésif qui répondrait aux attentes du destinataire-lecteur  ou faut-il mobiliser d’autres ressources qui viennent s’adjoindre aux mécanismes linguistiques ?

  Avoir des idées est une chose, les exposer en veillant à leur organisation ou hiérarchisation de manière à fournir au texte de la signifiance en est une autre ;  elle repose sur la capacité du texte à fournir à son lecteur les éléments qui lui permettent de se représenter un référent non pas seulement dans sa dimension objective (comme dans les sciences) mais aussi dans sa contextualisation conceptuelle et culturelle.

  A supposer que l’élève débutant du second cycle de l’enseignement secondaire ait acquis d’une part la maîtrise de la communication orale ordinaire (objectif  visé pour la fin de l’enseignement primaire), d’autre part la compréhension des thématiques qui constituent son bagage littéraire à l’issue du premier cycle secondaire, il lui faudrait alors apprendre les règles de la production écrite lui permettant d’exprimer ces contenus en particulier selon le format des épreuves au baccalauréat : résumé, commentaire, dissertation.

L’on croyait et continue encore à croire, surtout en Mauritanie, que la maîtrise du code orthographique, de la syntaxe et du lexique peut tenir lieu d’un enseignement de l’écriture et permettre, ipso facto, aux apprenants de produire des textes écrits. L’on s’interroge néanmoins sur le décloisonnement des apprentissages, sans pour autant trouver une solution au problème posé :

- d’une part, il apparaît raisonnable de dissocier les apprentissages, sur le présupposé  qu’un élève ne peut pas saisir et absorber globalement l’ensemble des phénomènes intriqués que représente le moindre énoncé, qui met en jeu le lexique, la syntaxe, l’orthographe, le sens linguistique, la valeur pragmatique. L’idée est alors  de dés-intriquer ces différents aspects, afin de simplifier la tâche cognitive puisqu’alors il s’agira de les appréhender l’un  après l’autre et isolément, sans l’effet de brouillage qu’implique l’interaction réciproque. Chaque « leçon » est alors organisée selon les rubriques bien connues : « vocabulaire », grammaire », « conjugaison », « orthographe », séparation qui suppose que l’attention sera centrée tantôt spécialement sur le choix  des mots et leurs interrelations (synonymes, contraires…), tantôt particulièrement sur une construction (la subordonnée relative…), ou bien sur les flexions verbales, ou bien encore sur l’accord de l’adjectif avec le nom, etc.

 Par quelle activité d’ailleurs, pourrait-on, dans le même temps, faire apprendre la synonymie, le pronom relatif, les terminaisons de l’imparfait et l’accord entre l’adjectif et le nom ? Ces notions n’ont à priori rien de commun et l’on ne perçoit, dès lors, le principe qui pourrait logiquement les relier dans une même démarche pédagogique. 

- d’autre part, en même temps, cette appréhension décloisonnée du tout que constitue l’énoncé suppose, à un moment donné, qu’en soit réalisée la synthèse : une fois la phrase étudiée du point de vue de son lexique, de  sa construction, de sa flexion verbale puis des accords orthographiques, comment reconstituer le tout que représente la phrase telle qu’elle nous apparaît ? Paradoxalement, la tâche, sans doute la plus difficile, est entièrement laissée à la charge de l’élève : on suppose que le « mélange » s’opérera par quelque processus cognitif inné – un peu comme laisserait-on un enfant construire tout seul un réveil, après lui avoir expliqué comment en fonctionne chaque pièce, ou un apprenti cuisinier trouver la recette du gâteau, une fois posés devant lui les œufs, la farine, le sucre et le beurre dont il aurait appris la composition et le rôle !

  La solution actuellement adoptée en France pour résoudre le problème – ou du moins mettre l’élève en position d’y parvenir – est de substituer, à l’observation de mots, groupes ou phrases isolées, celle d’un texte, donc d’un tout ; l’hypothèse est que l’élève va raisonner sur des unités, certes, mais « contextualisées », donc inscrites dans un tout, et par là s’approprier, plus ou moins consciemment, ce qui fait le « lien » justifiant la conscience du rapport à un tout. Cette solution n’est d’ailleurs pas nouvelle ; les manuels scolaires ont, depuis longtemps, adopté, comme support de l’observation, un court texte – narratif ou descriptif – sur lequel sont posées des questions permettant de repérer le phénomène sur lequel on souhaite travailler pour en faire comprendre le phénomène.

Outre la synthèse que l’on espère rester implicite et constituer de la sorte la « boîte noire » du processus d’apprentissage, l’on peut aussi se demander si sont convoqués les savoirs sur les fonctionnements de la langue antérieurement acquis, un par un. Autrement dit, pour prendre un exemple très simple, il n’est pas évident que, face à la consigne de « décrire son meilleur ami » ou de « raconter dans quelles circonstances l’on a eu très peur », l’élève mobilise ce qu’il sait des règles de la construction de la phrase qui doit minimalement comporter un GN sujet et GV prédicat (grammaire), de la liste des synonymes possibles : tête, visage, figure lorsqu’il entreprend la description demandée (lexique), du temps verbal à adopter selon que l’on a à décrire ou raconter et  de la forme morphologique que prend alors le verbe (conjugaison), etc. On peut même se demander si une telle mobilisation préalable, explicite et méthodique, ne bloquerait pas purement et simplement le processus de rédaction… 

  L’ensemble de ces incertitudes sur les manières dont s’opère la synthèse des connaissances et les moyens de les faire acquérir aux élèves est peut-être responsable d’une représentation tenace que l’on peut avoir de «l’art d’écrire » comme « don » (d’où les clichés « avoir le don des langues », « être doué pour l’écriture »…) ; mais, réciproquement, la croyance à un talent naturel a retardé l’émergence d’une didactique de l’écrit, car si l’on admet que la maîtrise de l’expression écrite relève de l’inné, du génétique, il en découlerait l’impossibilité de se l’approprier par un apprentissage.

 

    Dans le domaine de l’enseignement et de l’apprentissage, l’on n’hérite rien, l’on apprend tout.

 

 Evitons, donc, de sacrifier les générations dont nous avons la charge, la responsabilité ! J’appelle, de mes vœux les plus sincères, l’option pour un enseignement de qualité, loin de toutes querelles idéologiques, partisanes et surtout de politiques politiciennes.                              

 

                           Amadou Gueye KONTE, 

                           Enseignant chercheur. 

 

BARRE-DE MINIAC C. (1996). « Des pistes de réflexions et recherche en didactique de l’écriture » in Barré de-Miniac Vers une didactique de l’écriture : Pour une approche pluridisciplinaire, Paris-Bruxelles, De Boeck Université : 185-190. 

 

Daff, Moussa. (1990). « Présentation de la situation du français au Sénégal à travers la grille d’évaluation des situations de francophonie élaborée par Robert Chaudenson (1988) ». In Francophonie : représentations, réalités, perspectives, Langues et développement, Paris : Didier Erudition, pp. 138-159.

 

KONTE A. (2004) L’expression écrite en classe de terminale : cas de la Mauritanie. Etude sur les productions écrites d’élèves mauritaniens de classe de terminale sous la direction de PORQUIER. R 

 

KONTE A. (2008) « L’arabe, le français et l’écriture » in Francophonies du sud n°18, Le français dans le monde, 360 : 12-13.

 

KONTE A. (2008) Pour de nouvelles stratégies de l’enseignement et de l’apprentissage de l’écriture en français langue seconde : le cas de l’école mauritanienne, particulièrement au lycée sous la direction de LEEMAN Danielle, Paris Ouest Nanterre la Défense. 

 

KONTE A. (2009) « La place de la linguistique textuelle à l’école mauritanienne » in Francophonies du sud n° 19, Le français dans le monde, 360 : 12-13.

 

REUTER Y. (1996)  « De la rédaction à une didactique de l’écriture », in Barré-de Miniac Vers une didactique de l’écriture : Pour une approche pluridisciplinaire. Paris-Bruxelles. De Boeck Université : 51-69.

 

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